Les dispositions envisagées : que contiendrait la loi ?
Article 1 : Traçabilité alimentaire intégrale par blockchain publique
Cet article créerait dans le Code rural ou le Code de la consommation une obligation pour tout acteur mettant un produit alimentaire sur le marché français de participer au système national de traçabilité. Concrètement, il instaurerait une plateforme numérique gérée peut-être par un organisme public (on parle de l’Agence française de traçabilité alimentaire à créer). Chaque lot alimentaire se verrait attribuer un identifiant traçable tout au long de la chaîne. Les opérateurs (producteurs, transformateurs, distributeurs, importateurs…) devront renseigner les informations relatives à leur étape : origine des ingrédients, transformations effectuées, date et lieu, coûts (peut-être agrégés par catégories), etc. Ces données seront horodatées, cryptées et accessibles en lecture au public via un QR code sur le produit. Un décret en Conseil d’État préciserait les modalités techniques (normes d’interopérabilité, catégories de données obligatoires, protections éventuelles pour des secrets commerciaux hors périmètre info conso… bien que le collectif insiste pour une transparence quasi totale).
Cet article pourrait aussi prévoir des sanctions en cas de manquement : par ex., amende pour un industriel qui ne renseigne pas sa part de la traçabilité, retrait du marché d’un produit sans blockchain. Il faudra l’articuler avec les articles existants sur la traçabilité (L412-1 et suivants du Code rural), qui rendent déjà les exploitants responsables de la traçabilité mais sans notion de transparence publique.
Par ailleurs, l’article mentionne la blockchain comme technologie privilégiée et possiblement la mise en place d’un partenariat public-privé pour son développement (on a évoqué des solutions type IBM Food Trust ou VeChain).
Enfin, probablement un volet financier : la loi pourrait créer un fonds de financement (par exemple alimenté par une taxe minime sur les transactions agroalimentaires ou par redéploiement d’une partie du budget PAC national) pour couvrir les fameux ~390 M€ d’investissement nécessaires. Le texte mentionne « cofinancée par Horizon Europe et la PAC »– ça c’est la perspective UE. Au niveau français, l’article 1 pourrait dire que l’État peut subventionner l’équipement des PME (lecteurs QR, etc.).
Article 2 : Étiquetage et information du consommateur
Celui-ci modifierait le Code de la consommation (articles L111-1 et suivants, relatifs à l’information sur les denrées). On y intégrerait l’obligation d’apposer un code QR renvoyant vers la traçabilité blockchain sur chaque unité de vente. Peut-être aussi l’obligation d’indiquer clairement l’origine du ou des ingrédients primaires sur l’emballage en clair (sans se cacher derrière “UE/non-UE”). Le texte parle de « rendre accessible la traçabilité complète via un QR code public scannable par tout consommateur ». Donc c’est central.
On pourrait imaginer qu’un décret liste les informations minimales à afficher sur l’interface accessible au public : pays d’origine de chaque ingrédient significatif (disons >5 % du poids, ou ingrédient principal), nom du producteur agricole (ou numéro SIRET anonymisé si on veut éviter de montrer le nom – mais l’esprit du collectif semble plutôt en faveur de la transparence intégrale, donc possiblement nom affiché), étapes de transformation avec lieux, etc. C’est ambitieux mais faisable.
Article 3 : Clause miroir normative
C’est la partie “application des normes françaises aux importés”. Juridiquement, ce sera délicat. Il faudra probablement formuler cela comme un principe général dans le Code de commerce ou le Code de la consommation, du genre : “Il est interdit d’importer ou de mettre sur le marché un produit alimentaire qui n’aurait pas pu être produit légalement sur le territoire national selon les normes sanitaires, environnementales, sociales et de traçabilité en vigueur”. C’est un langage fort qui risquerait la censure OMC, mais c’est l’idée.
Une formulation plus modérée serait : “Doit être refusée à l’importation toute denrée dont la production ou la composition ne respecte pas les exigences essentielles fixées par la réglementation française ou européenne en matière [énumérer domaines : sécurité sanitaire (pas de substances non autorisées, etc.), protection de l’environnement (ex : pas de pesticides interdits, respect du bien-être animal…)]. Un arrêté du ministre de l’Agriculture établit la liste de ces exigences et des preuves requises. Le texte de la pétition donne une liste précise des domaines : interdiction d’intrants interdits en France, normes env (GES, ZNT, biodiversité), normes sociales (temps de travail, protection sociale), bien-être animal (transport, abattage), traçabilité complète. Donc l’article 3 pourrait renvoyer à ces thèmes.
Cet article aurait aussi un volet contrôle : il pourrait renforcer les pouvoirs de la DGCCRF ou des Douanes pour suspendre la mise en circulation d’un lot suspect. Par ex., si la traçabilité (article 1) montre qu’un produit contient un ingrédient potentiellement non conforme (ex : un miel où l’analyse blockchain dit “Chine” → or la Chine a des problèmes d’antibiotiques dans le miel), alors la DGCCRF peut exiger analyses ou bloquer.
Dans la pétition, ils citent une “base juridique” : article 168 TFUE (santé publique), article 12 règlement INCO (loyauté de l’info) et article L.1 Code rural (égalité des obligations économiques). Ce dernier (L.1 CRPM) dit : “La politique agricole… vise à établir entre producteurs des conditions équitables et la régulation des marchés en assurant l’égalité des obligations imposées.” C’est en effet un support pour dire qu’on doit imposer à tous les produits les mêmes obligations (égalité). On le mettrait en avant dans les motifs pour justifier l’art.3.
Article 4 : Extension à l’échelle européenne (résolution)
Souvent, les lois citoyennes contiennent un article incitant le gouvernement à agir sur la scène européenne. Par ex., “Le Gouvernement est invité à promouvoir auprès de l’Union européenne l’adoption d’actes législatifs reprenant les principes de la présente loi afin d’assurer leur effectivité dans les échanges intracommunautaires et avec les pays tiers.” Ce serait cohérent avec le V. du textepetitions.assemblee-nationale.f. Mais un tel article n’est pas normatif sur le plan interne, ce serait plus une résolution.
Article 5 : Entrée en vigueur et dispositions transitoires
La mise en place ne peut se faire du jour au lendemain. On peut imaginer un calendrier progressif. Par ex., un délai de 2 ans pour l’ensemble de la filière pour se conformer à la blockchain. Des expérimentations sur volontaires d’abord, puis extension. Peut-être un phasage par filières : commencer par la viande, etc.
Concernant la clause miroir, c’est plus délicat : faut-il l’appliquer immédiatement, ou donner le temps aux importateurs de s’adapter ? L’article transitoire pourrait dire : “À compter de telle date, toute importation devra être accompagnée d’une attestation de conformité normative. À compter de telle date + 1 an, interdiction d’import si non conformité.” Quelque chose comme ça.
De plus, il faudra respecter nos accords internationaux existants. Peut-être prévoir que “les dispositions de l’article 3 s’appliquent dans le respect des traités et accords internationaux” – clause de style pour éviter d’être accusé de violer l’OMC intentionnellement (même si c’est un peu le cas, mais on jouera sur la justification santé/env).
Dans la pétition, Alexis Vial mentionne les bases légales pour que ce soit OMC-compatible : l’article XX du GATT permet des exceptions pour protéger la santé, etc., s’il n’y a pas discrimination arbitraire. Ils argueraient que c’est uniformément appliqué à tous, donc pas ciblé.
Enfin, possiblement un article sur la concertation : la mise en place de la blockchain nécessite un comité de pilotage rassemblant producteurs, distributeurs, tech, etc. Soit ce sera dans un décret, soit la loi peut créer une instance type “Comité national de la traçabilité alimentaire” chargé de superviser la gouvernance de la blockchain.
Voilà pour le contenu probable. Bien sûr, la proposition citoyenne n’est pas encore un projet de loi calibré, mais ces éléments en donnent la trame.