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Le secteur laitier français illustre bien ce déséquilibre. Nos éleveurs doivent appliquer des règles strictes (bien-être animal, alimentation sans OGM, normes sanitaires rigoureuses), ce qui a un coût. Or, sur le marché mondial, le prix du lait est tiré vers le bas par des pays où produire coûte moins cher et où les standards sont moins exigeants. Conséquence : les marges des éleveurs hexagonaux s’érodent et nombre d’entre eux jettent l’éponge. En France près d’un tiers des producteurs laitiers ont cessé leur activité en une décennie – une saignée qui serait encore plus dramatique si l’on remontait vingt ans en arrière. Derrière ce chiffre choc, on trouve des familles d’éleveurs contraints d’abandonner, écrasés par des coûts de production élevés et une rémunération en berne face à la concurrence internationale.

Ce n’est pas que la consommation de lait ait chuté, mais les revenus sont de plus en plus captés par l’aval de la filière ou par des importations meilleur marché. Par exemple, la poudre de lait bon marché importée peut faire pression sur les prix payés aux producteurs français. Par ailleurs, les éleveurs français subissent des contraintes (bâtiments aux normes, traitement des effluents, alimentation sans antibiotiques activateurs de croissance, etc.) que peuvent contourner des producteurs étrangers. En somme, ils se battent à armes inégales sur un marché libéralisé. Tant que des pays pourront exporter chez nous du lait ou des produits laitiers issus de vaches traitées dans des conditions moins coûteuses (alimentation aux OGM ou aux antibiotiques, normes d’hygiène allégées…), le jeu restera faussé.

Le lait est souvent présenté comme “la fierté française” (2ᵉ producteur européen, 1er en produits AOP fromagers, etc.). Mais derrière cette façade, les éleveurs laitiers traversent des moments difficiles. Après la fin des quotas laitiers en 2015, les prix se sont effondrés en 2016, provoquant une vague de désespoir. Puis les cours ont remonté, avant de rechuter récemment. La FNPL (syndicat des producteurs de lait) réclame un prix plancher indexé sur les coûts de production, mais bute sur la résistance des industriels (Lactalis, Sodiaal…). Un agriculteur témoigne : « Sodiaal propose 450 €/1000 L quand Lactalis se limite à 420 €. Le coût de prod est ~465 €. On ne peut pas travailler à perte ! »ladepeche.frladepeche.fr. Cela se passait début 2024 lors des négociations annuelles. On sent l’exaspération dans ses propos.

Malgré la loi Egalim, qui a pour principe de sanctuariser la part agricole dans le contrat (coûts non négociables), sur le terrain les producteurs ont l’impression que « c’est toujours le moins-disant qui gagne ». En bio, c’est pire : la consommation a chuté, et Sodiaal a baissé le prix du lait bio à 520 €/1000 L, un niveau jugé “cataclysmique” par la FNPL car beaucoup de charges spécifiques en bioladepeche.fr. Résultat, certains producteurs bio envisagent de repasser en conventionnel. D’autres arrêtent purement et simplement la production : plus de 50 éleveurs laitiers ont jeté l’éponge en une seule année dans un département comme le Tarn-et-Garonneladepeche.frladepeche.fr.

Ici aussi, imports et marges jouent un rôle. Le lait liquide est peu importé, mais les produits laitiers le sont : fromages, beurre… Par exemple le beurre irlandais bon marché a inondé la grande distribution pendant un temps, concurrençant nos beurres AOP plus chers. « Il faut arrêter avec le lait espagnol et le beurre irlandais », implorent les éleveurs du Sud-Ouestladepeche.fr. Ils pointent du doigt la grande distribution qui achète ces produits étrangers aux dépens du local. Et en effet, en l’absence d’étiquetage origine sur le beurre, qui savait que son beurre “MDD” venait d’Irlande ? Depuis 2022, la France a heureusement rendu obligatoire l’affichage de l’origine des viandes dans la restauration, et du lait en cantine, etc.economie.gouv.frmapa-assurances.fr. C’est un progrès dans le hors-domicile.

Côté marges, l’OFPM indique que la brique de lait UHT payée 0,88 € en magasin se décompose ainsi : 46 c pour l’éleveur, 14 c pour l’industrie, 28 c pour la distribution (et ~7 c de TVA)tf1info.frtf1info.fr. On voit que la distribution prend environ deux fois la valeur de l’éleveur sur ce produit de base. En 2023, sous prétexte de bataille anti-inflation, les distributeurs ont cherché à limiter les hausses versées aux laiteries, qui elles-mêmes limitent aux producteurs : tout le monde se renvoie la balle, et au final c’est l’éleveur qui trinque, car lui ne peut imposer son prix. « Respectez la loi Egalim ! », martèlent les producteurs laitiers en manifestation, rappelant que cette loi impose de tenir compte des coûts agricolesladepeche.fr. Mais sur le terrain, la traduction concrète se fait attendre. D’où l’idée qu’il faut des outils plus contraignants : c’est ce que propose la traçabilité blockchain, qui rendrait publics les coûts de prod de référence et permettrait de vérifier si un contrat est équilibré. On pourrait imaginer qu’à terme, un lait “équitable” arborera un label ou une mention prouvant via la blockchain que l’éleveur a touché par ex. 50 % du prix final.

Malgré tout, la filière lait reste un pilier pour de nombreux territoires (Bretagne, Normandie, Grand-Est, Massif Central…). La perdre ou la laisser s’étioler signifierait importer du lait en poudre d’Allemagne ou de Pologne pour faire nos fromages : impensable en termes de souveraineté alimentaire et de patrimoine gastronomique. Relocaliser la valeur dans cette filière est vital. La proposition de loi va dans ce sens en renforçant les maillons faibles. À noter aussi, l’idée d’intégrer les normes sociales dans la clause miroir : cela viserait par exemple à ne pas importer du lait en poudre de pays où les producteurs seraient subventionnés de manière déloyale ou où les conditions salariales seraient très inférieures. C’est complexe (on ne va pas interdire du lait belge sous prétexte que leurs charges sont moindres), mais l’esprit est de tendre vers une harmonisation par le haut, en tirant nos voisins vers nos standards (via la PAC et des coopérations).

Globalement, un combat pour la survie de nos élevages familiaux

Viande bovine, volaille/œufs, lait : ces filières ont chacune leurs spécificités, mais partagent un point commun. Ce sont des secteurs sous forte pression économique et concurrentielle. Beaucoup d’exploitations sont familiales, attachées à un mode de production de qualité (herbe, plein air, terroir). Elles se voient menacées par un modèle d’import-export mondialisé où la seule loi est le prix le plus bas. « Concurrence exacerbée à coups de dumping et de pratiques phytosanitaires douteuses », écrivait un rapport sur les fruits et légumes – on pourrait reprendre la phrase pour l’élevageifrap.orgifrap.org.

La loi traçabilité intégrale cherche à créer un environnement plus favorable pour nos éleveurs. En éclairant les consommateurs sur ce qu’il y a derrière un produit (origine, mode d’élevage), elle valorise implicitement les modes français, souvent plus regardants sur le bien-être animal et la qualité. « Éleveurs français, votre savoir-faire sera valorisé par la transparence », tel pourrait être le message. De même, en garantissant l’équité vis-à-vis des importations, elle offre un horizon plus stable aux producteurs : ils ne seront plus concurrencés de manière déloyale sur leur propre marché.

Il est également question de souveraineté alimentaire : si rien n’est fait, dans 10 ans nous boirons du lait allemand, mangerons du bœuf irlandais et des œufs polonais, parce que nos producteurs auront fermé boutique. Ce n’est pas qu’une vue de l’esprit : la Suisse voisine a déjà perdu presque tous ses élevages de porcs et volailles au profit des importations. Ils regrettent aujourd’hui d’avoir sacrifié ces filières, car ils sont entièrement dépendants pour ces viandes. La France ne veut pas connaître ce sort. Maintenir la production nationale de viande et de lait, c’est assurer notre capacité à nourrir notre population avec nos propres standards, c’est éviter de transférer l’empreinte environnementale chez autrui, c’est entretenir nos campagnes (prairies, haies…) et c’est préserver des centaines de milliers d’emplois directs et indirects.

En conclusion, les filières viande, œufs, lait sont “sous pression” mais non condamnées – à condition d’adapter les règles. La proposition de loi offre un cadre nouveau pour les sauver : transparence + loyauté = bouffée d’air frais. Plutôt que de subventionner indéfiniment ces secteurs en crise, on les remettra en capacité de vivre de leur production. Les élevages français ont de nombreux atouts (qualité, traçabilité sanitaire déjà bonne). En jouant la carte de la confiance avec le consommateur, via la transparence totale, ils pourront regagner des parts de marché. Et en éliminant la concurrence déloyale, on leur rendra l’oxygène économique nécessaire.

 

Soutenir

« Pour les producteurs français : [cette loi] c’est une protection contre la concurrence déloyale », rappelle le textepetitions.senat.fr. Nulle part cela n’est plus vrai que pour l’élevage. Il est temps de donner raison à ces éleveurs qui clament “laissez-nous vivre de notre métier, respectez notre travail”. La transparence et la traçabilité intégrale sont des armes pacifiques pour y parvenir.