La loi Traçabilité intégrale comporte un autre volet fondamental pour la justice des producteurs : la transparence sur la formation des prix. En obligeant à publier les coûts et marges à chaque échelon, elle vise à mettre en lumière les abus éventuels et à rééquilibrer les négociations commerciales. Actuellement, la construction du prix final d’un aliment est une boîte noire pour le citoyen. Savez-vous quelle part du prix de votre baguette va réellement au céréalier, au meunier, au boulanger ? Ou quelle fraction du prix de votre steak revient à l’éleveur, à l’abatteur, au distributeur ? Non, et cette opacité profite souvent aux maillons puissants.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), organisme public, fournit pourtant chaque année des rapports riches en données. Par exemple, il ressort de son rapport 2023 que sur le panier alimentaire moyen, la hausse récente des prix était due à 48,6 % à une augmentation des profits bruts de l’industrie agroalimentaire, contre 47,6 % aux coûts des intrants agricoles, le reste aux salaires. En clair, les industriels ont largement profité de la conjoncture pour améliorer leurs marges. Leur taux de marge est passé de 28 % fin 2021 à 48 % début 2023, un bond de +71 %. Ce genre d’information, une fois porté sur la place publique, suscite légitimement l’indignation. Les enseignes de supermarché et les multinationales se défendent en parlant de « compensation de pertes passées », mais les chiffres montrent un niveau de marge supérieur à l’avant-Covid.
Rendre publiques les marges permettrait de mettre chacun face à ses responsabilités. La grande distribution pratique parfois des marges très élevées sur certains produits, en particulier le bio : une étude de l’UFC-Que Choisir a montré que les marges brutes sur fruits et légumes bio étaient en moyenne 96 % plus élevées qu’en conventionnel, gonflant inutilement les prix pour le consommateur. Sur la tomate bio, la marge de la grande surface était +145 % supérieure à celle sur une tomate non bio. Si une transparence par produit et par enseigne était imposée, les enseignes auraient à justifier de tels écarts devant l’opinion. Personne ne veut passer pour le “profiteur” qui étrangle producteurs et clients. La concurrence pourrait alors jouer en faveur du “mieux-disant éthique” : tel distributeur mettant en avant qu’il rémunère mieux les producteurs locaux ou qu’il ne prend “que” x% de marge sur tel aliment pourrait attirer une clientèle citoyenne. C’est exactement l’espoir formulé par l’UFC-Que Choisir, qui demande que « la transparence soit faite sur les prix et les marges nettes réalisées par produit et par enseigne, afin de… contribuer, par la concurrence, à une meilleure accessibilité du bio ». Ce raisonnement vaut pour toute la gamme alimentaire.
En outre, cette connaissance partagée des coûts a un effet pédagogique : consommateurs et agriculteurs pourraient se rendre compte des contraintes des uns et des autres. Savoir qu’un éleveur perçoit 0,44 € sur un litre de lait tandis que le distributeur en prend 0,30 € et l’industriel 0,20 €, par exemple, permettrait d’objectiver le débat sur la “juste part”. Et si un intermédiaire abuse vraiment, les faits parleront d’eux-mêmes.
De plus, le projet de traçabilité via blockchain (voir plus loin) faciliterait la certification des coûts de revient agricoles. On pourrait imaginer intégrer dans la blockchain les coûts moyens de production calculés par filière (par les instituts techniques ou chambres d’agriculture), pour les comparer au prix de vente et ainsi détecter toute vente à perte. Cela appuierait l’application de la loi Egalim 2 qui interdit théoriquement les achats en dessous des coûts de production. Avec la transparence, plus moyen pour un acheteur de dire qu’il ne savait pas.
En définitive, rendre la filière plus transparente, c’est redonner du pouvoir de négociation aux producteurs (car la pression de l’opinion publique sera de leur côté lorsque les marges abusives seront visibles) et c’est aussi redonner du pouvoir de choix aux consommateurs. Un consommateur informé, qui sait d’où vient exactement le produit et comment se répartit son prix, pourra privilégier en connaissance de cause les aliments qui rémunèrent correctement le producteur. Aujourd’hui, cette information n’existe pas. Demain, grâce à un étiquetage repensé (par exemple un code QR donnant accès à la chaîne de valeurs), ce sera possible.
En résumé, la justice pour les producteurs passe par deux piliers : 1) Aligner les règles du jeu pour tous via les clauses miroir, 2) Rendre visibles les coulisses des prix via la traçabilité intégrale et l’affichage des marges. Ce sont les deux piliers indissociables de la proposition de loi citoyenne pour une traçabilité alimentaire complète. Il ne s’agit pas de nostalgie corporatiste, mais bien de « restaurer une forme élémentaire de justice commerciale » Remettre du juste et du vrai dans nos échanges agroalimentaires, c’est sauver nos fermes et garantir la qualité de notre alimentation future. Comme le conclut Alexis Vial dans son appel : « Mesdames et Messieurs, faites de la France le fer de lance de l’alimentation transparente, traçable et équitable en Europe »petitions.senat.fr.
"Quand on est producteur de fruits, on se bat contre les importations qui ne respectent pas nos regles. Il faut que le consommateur sache."
Alain, Producteur de pommes dans le Limousin
"Je prefere payer un peu plus cher si je sais que le producteur est remunere justement et que le produit est sain."
Claire, Consommatrice a Lille
"Je travaille en grande distribution et je vois les marges que prennent certains. Les clients seraient choques s ils connaissaient les chiffres."
Julie, Responsable rayon en Ile-de-France