Scanner un code-barres ou QR code sur un produit alimentaire : un geste qui pourrait devenir courant pour obtenir l’historique complet du produit. La loi propose que chaque aliment dispose d’une traçabilité numérique accessible au consommateur, par exemple via un QR code public

Un consommateur trop souvent dans le flou

Lisez-vous les étiquettes de vos aliments ? Même en y passant du temps, il est souvent difficile de vraiment savoir ce que l’on mange. L’origine des ingrédients, notamment, est fréquemment masquée ou floue. Aujourd’hui, plus des deux tiers des ingrédients de produits transformés manquent d’information claire sur leur provenancetf1info.frtf1info.fr. Une enquête de l’association UFC-Que Choisir en 2024 a ainsi montré que 47 % des ingrédients n’ont aucune origine mentionnée sur les emballages et 22 % n’ont qu’une mention vague du type “Origine UE ou non-UE”tf1info.frtf1info.fr. Concrètement, cela signifie qu’un plat cuisiné, un biscuit ou un pot de yaourt aux fruits affiche rarement le pays d’origine de ses composantes principales. On trouve peut-être un drapeau français sur le packaging (parce que le produit est élaboré en France), mais rien ne dit si le sucre vient du Brésil, la fraise d’Égypte ou le blé de Roumanie.

Ce manque de transparence est délibéré de la part des industriels, qui préfèrent ne pas éveiller l’attention sur leurs approvisionnements lointains. Une marque peut ainsi se targuer d’être “Made in France” tout en incorporant 80 % d’ingrédients importés – pratique que la loi française a commencé à restreindre via la loi EGALIM 2 fin 2021clcv.orgclcv.org. En effet, depuis octobre 2021, il est interdit de mettre un drapeau français sur un aliment si l’ingrédient primaire n’est pas d’origine françaiseclcv.orgclcv.org. C’est une avancée, mais cela n’oblige toujours pas à dire d’où viennent les ingrédients étrangers, juste à ne pas induire le consommateur en erreur patriotique. Or, beaucoup de produits n’affichent rien du tout. Par exemple, 82 % des plats végétariens cuisinés et 65 % des desserts au soja n’indiquent pas l’origine de leurs composants végétaux, d’après la CLCVclcv.orgclcv.org. Et pourtant, ce sont souvent des filières mondialisées (le soja vient du Canada ou du Brésil, les lentilles de Turquie, etc.). Les consommateurs désireux de choisir local en sont pour leurs frais.

Autre angle du problème de transparence : la composition exacte et les modalités de production sont souvent opaques. On se souvient du scandale de la viande de cheval 2013, où des lasagnes surgelées de marque Spanghero contenaient du cheval roumain à la place du bœuf annoncélemonde.fr. À la suite de ce scandale, il y a eu des promesses d’améliorer la traçabilité de la viande dans les plats préparés. Pourtant, dix ans après, « l’Union européenne n’impose toujours pas l’étiquetage du pays d’origine des viandes dans les plats préparés », constatait Le Monde fin 2013lemonde.frlemonde.fr… et c’est toujours vrai en 2023. La France avait expérimenté en 2017-2021 l’obligation d’indiquer l’origine de la viande et du lait dans les aliments transformés vendus en France, mais faute d’accord européen pérenne, cette mesure est arrivée à échéance. Résultat, en achetant une pizza surgelée ou un jambon sous vide, le consommateur ne sait pas d’où vient la viande de porc utilisée. Tout juste certaines marques mettent “Viande UE” si elles font l’effort. Et là encore, UE englobe 27 pays et demi-un milliard d’habitants : ce n’est pas franchement de la transparence.

Qui pâtit de cette situation ? Le consommateur, d’abord, privé d’une information pourtant légitime sur ce qu’il ingère. Mais aussi le producteur vertueux, dont les efforts (origine locale, qualité supérieure) ne sont pas mis en valeur comme ils le mériteraient. Quand un produit bas de gamme côtoie un produit local de qualité sans distinction visible d’origine, beaucoup de clients choisiront le moins cher, faute de comprendre les différences. Cela entretient un nivellement par le bas.

Actuellement, seules certaines catégories bénéficient d’une traçabilité imposée : la viande fraîche (étiquetage du pays de naissance, élevage et abattage pour les bovins, et du pays d’élevage/abattage pour porc, volaille…), les fruits et légumes frais (pays d’origine obligatoire sur l’étal)economie.gouv.fr, le poisson (zone de pêche), le miel (mention UE/non-UE si mélange) et quelques autres. Mais dès que l’ingrédient est incorporé dans une préparation, plus rien ou presque. Ainsi, un plat cuisiné à base de bœuf n’est pas tenu de préciser l’origine de la viande (la France l’avait exigé en test, mais ne le peut plus seule). Un jus de fruit n’a pas à dire d’où viennent les fruits s’il ne le souhaite pas. Certains acteurs volontaires le font : Bonduelle indique l’origine de 7 légumes sur 10 en conserve, par exemple, alors que Cassegrain (même famille) ne le fait que pour 1 légume sur 10tf1info.frtf1info.fr. On voit bien que c’est possible de le faire, juste que ce n’est pas généralisé.

Enfin, il y a l’aspect “ce qui est caché dans la filière” : conditions d’élevage réelles, modes de transformation. Sur l’étiquette, on n’a que des morceaux du puzzle. Par exemple, on achète un œuf code 1 (plein air) : il est pondu en France ou ailleurs ? Ce n’est pas écrit (sauf Label origine France). Le code producteur dessus permet de savoir le pays (FR, ES…), mais peu de gens le savent. On achète du jambon cuit : l’étiquette dit bien “porc élevé en UE” parfois, mais ne dit pas s’il a été traité aux antibiotiques, castré, etc. On achète du miel : s’il est mélangé, on lit “mélange de miel originaires et non originaires de l’UE”, très instructif… (Une directive européenne de 2022 va exiger de lister les pays par ordre décroissant, ce sera mieux).

Bref, le citoyen est dans le brouillard. Et cela n’est pas sans conséquences : « Chaque jour, nous consommons des produits dont l’origine réelle, les conditions de production, les modes de transformation, les coûts réels et les marges échappent à tout contrôle du citoyen », déplore le texte de la pétitionpetitions.assemblee-nationale.frpetitions.assemblee-nationale.fr. C’est un double préjudice : « Le consommateur est privé d’une information loyale. Le producteur, d’une juste reconnaissance »petitions.senat.fr. Les scandales comme la viande de cheval l’ont montré : sans transparence, la fraude s’invite facilement. Idem pour la crise Lactalis 2017 (lait infantile contaminé à la salmonelle) : la traçabilité interne était tellement déficiente que des boîtes rappelées ont continué à être vendues faute d’identification claire des lots. Quand on se souvient de ces épisodes, on mesure l’enjeu sanitaire et économique d’un meilleur suivi. « Les données actuelles sont fragmentées, falsifiables et inaccessibles au public », note pertinemment la proposition de loi